LES FLEURS D’YVES SAINT LAURENT
Je me suis un peu forcé pour aller voir l’exposition « Les fleurs d’Yves Saint Laurent » dans la fondation de même nom à Paris qui n’est pas, à mon avis, le meilleur lieu pour présenter des œuvres textiles, étalées sur plusieurs étages dans des locaux assez exigus et avec un parcours labyrinthique. Cette critique est atténuée par le fait que les cartels mentionnent, ce n’est pas toujours le cas, tous les ateliers - couture, fabricant d’étoffes, broderie - qui ont participé à la production des œuvres exposées.
Je vais consacrer cette note à seulement quelques robes dont les broderies m’ont paru les plus spectaculaires.
De l’année 1962, celle de la première collection d’YSL, une robe du soir en piqué de coton brodé par la maison Rébé, dont mon amie Nadia Albertini est la spécialiste[1].
Comme on peut le deviner, le corsage est laissé vierge et la jupe est brodée d’un semis de fleurs d’imagination, vues sous différents angles, rouge et orange, avec leurs tiges, parmi lesquelles se promènent quelques feuilles détachées. N’ayant pas acquis le catalogue et la qualité de mes photos n’étant pas assez bonne il m’est difficile de décrire en détail les matériaux et techniques employés. Il semble pourtant qu’il s’agisse, pour les tiges, les feuilles et les pétales de points lancés de fils de coton perlé de plus ou moins gros diamètres, égayées avec des enfilages de perles de verre de couleur et transparentes.
Trente cinq ans plus tard, une autre robe du soir, celle-ci brodée par la maison Lesage, nous offre un véritable jardin où, parmi sa « pelouse » qui occupe tout l’espace de la robe, viennent se détacher, savamment distribuées, des fleurs blanches et rouges.
Le détail qui suit montre que le fond feuillagé est loin d’être « à plat » puisque, comme il arrive souvent chez Lesage[2], il est constitué par des lits de paillettes polychromes sur lesquels sont couchées des feuilles, certaines légèrement transparentes, tenues par des tiges en fils de soie torsadés.
Ceci a peu à voir avec la broderie « de rapport[3] », telle que décrite par Saint-Aubin, mais ne s’en éloigne pas trop puisque les feuilles et les pétales, des fleurs blanches en particulier, sont façonnés avant d’être cousus sur le fond. Au milieu de ce « fouillis » on voit des amoncellements de perles rondes, blanches et rouges, et des lignes de « jais » incolores facettés qui apportent leur lumière. Le pistil des fleurs rouges est identifié par des pétales pliés.
Le pistil des fleurs blanches est particulièrement riche, composé de perles transparentes entourées d’une couronne de perles jaunes. Notez, en partie basse, à gauche et presque au milieu, deux feuilles au naturel avec des nervures parfaitement individualisées.
Poursuivons notre visite avec une robe du soir courte, de la même année, tout à fait dans la même veine et toujours de la maison Lesage, entièrement brodée de coquelicots.
On retrouve ici la « pate » Lesage, avec le haut du bustier complètement pavé de paillettes comme dans les vestes « Bouquet de Tournesols » et « Iris » de la collection Haute Couture Printemps/Été 1988 d’YSL. Le reste de la robe, très proche de celui de la précédente, est couvert d’un entremêlement de feuilles dans des nuances de vert sur lequel éclosent les fleurs, d’un rouge vif.
De l’année 2001, un hommage à Christian Dior tout en sagesse, à laquelle se plie la maison Lesage en mélangeant la broderie d’application, pour les réceptacles verts en velours (apparemment), la broderie en paillettes et en points lancés pour les pétales, les perles noires et transparentes pour cerner les motifs …
Changeons maintenant d’atelier pour une robe du soir brodée par la maison Brossin de Méré, que je découvre à l’occasion de cette exposition. J’apprends qu’elle a réalisé des patchworks pour YSL entre 1969 et 1980 et au-delà puisque la robe du soir qui nous occupe fait partie de la collection haute couture automne-hiver 1981. La jupe est un patchwork de faille et de taffetas de soie, dans un style que j’appellerai Poliakoff, rebrodé en application pour les fleurs dorées et blanches et en guipure pour celles violette et certaines feuilles.
Pour finir, je voudrais montrer un détail d’un boléro et d’une cape brodé par Lesage où l’on retrouve l’idéal baroque du créateur inspiré, interprété superbement par les artisans brodeurs.
Ils semblent avoir été atteints par l’horreur du vide, et investissent chaque millimètre de l’espace avec des étoffes en application sur lesquelles se déverse une débauche de paillettes, posées structurées et déstructurées, des perles et de la canetille de verre (jais) qui donne, en accentuant les contours, un caractère organique à une image qui, sans cela, serait totalement abstraite.
Comme toujours, en guise de conclusion…
…je n’ai pas grand-chose à ajouter. J’espère que vous apprécierez cette note et me le ferez savoir, en regrettant peut-être de ne pas l’avoir publiée plus tôt pour vous inciter à visiter l’exposition qui est désormais fermée. Mais il y a tant de choses à voir à Paris et ailleurs…La prochaine sera consacrée à l’exposition Worth, au Petit Palais, dont le vernissage aura lieu le 5 mai.
Texte et photos Daniel H. Fruman
Mai 2025
Date de dernière mise à jour : 05/05/2025
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