Histoire anecdotique d’une collection
Qui aurait pu prédire en ce jour de mars 1976 qu’en faisant l’acquisition à
Rien ne nous prédisposait à cette étrange destinée si ce n’est que nous avions acquis la « fibre textile » pendant les quatre ans où nous avons séjourné à Washington D.C. et couru moult foires et antiquaires pour acquérir des patchworks américains. Ce qui nous fascinait alors était l’imagination, la sensibilité et l’adresse avec lesquelles des femmes sans aucune formation artistique particulière avaient créé des compositions abstraites proches de celles d’artistes, comme Albers, Vasarely, Agam, Escher et beaucoup d’autres tenants de l’art optique, populaires dans les années 1970. Notre premier achat fut un patchwork en application de grandes feuilles de chêne stylisées, rouges sur fond ivoire, que nous avons appelé Matisse dès le début puisqu’il nous rappelait ses papiers découpés (photo ci-contre).
Le résultat de cette quête est que nous sommes rentrés en France avec une cinquantaine de patchworks dans nos bagages. Il y avait des « baby or tumbling blocks » (cubes d’enfants) faisant penser à Vasarely, des « log cabins » (cabanes en rondins) dans l’esprit d’Agam, un « diamond in a square » (losange dans un carré) Amish qui ne détonnerait pas au voisinage d’un « hommage au carré » d’Albers, un « Indiana puzzle » de l’Ohio qui fait penser au vol d’oiseaux d’Escher, et beaucoup d’autres. Nous avons appris le nom que l’on donnait à tous ces dessins et leurs variantes, à reconnaître leur âge, par la qualité et le décor des étoffes, et à établir, avec plus ou moins de certitude, leur origine. Nous avons visité des expositions (on approchait alors du bicentenaire des Etats-Unis et cet art si « national » avait beaucoup de succès), des musées, des collectionneurs (qui étaient aussi généralement des marchands) et nous avons acheté tout, ou presque, ce qui était publié sur le sujet.
Nous avions développé au contact de ces œuvres une sensibilité particulière pour les étoffes et c’est peut être celle-ci qui nous amena à nous arrêter devant cette chape, de toute évidence magnifique, taillée dans un superbe damas rehaussé de ce que nous croyions alors, dans notre ignorance, être une broderie à plat et en relief de fils d’or. Elle était par terre aux abords d’un stand où s’accumulaient chasubles, chapes et autres ornements qui à la suite de Vatican II quittaient les sacristies et se retrouvaient sur le « marché ». La plupart de ces ornements étaient du XIX et XX siècles, période pour laquelle nous n’avons jamais développé, que nos amis et amies conservateurs nous pardonnent, un goût particulier. Mais cette chape, même si nous la « sentions » comme du XIX siècle, mérita toute notre attention et nous nous sommes plongés avec émerveillement dans la découverte de sa beauté. Quand un collectionneur dans l’âme, et c’est notre cas, entame cette étape on peut être sûr qu’il récidivera et qu’il ne pourra pas s’empêcher à l’avenir d’acheter d’autres pièces puisqu’il sera à la recherche de plus de beauté et plus de connaissance. Il achètera si l’occasion se présente, sinon il forcera le destin en commençant la longue quête qui le mènera chez les brocanteurs, les antiquaires, les salles de vente, les foires et les salons pour dénicher la pièce qui ne demandera qu’à être, comme nous avons l’habitude de dire, « acquise et baptisée » : c'est-à-dire lui trouver un foyer, lui donner un nom, lui découvrir une origine, lui établir une généalogie, lui redonner une nouvelle vie et, surtout, la sauver de certains décorateurs et antiquaires qui n’hésiteraient pas à la « tailler en pièces » pour tapisser des sièges, en faire des coussins, etc.
Mais cette démarche n’est pas consciente. Elle se construit naturellement et même indépendamment de votre volonté dès le moment où vous sentez la montée d’adrénaline qui accompagne la convoitise d’un objet découvert au hasard d’une déambulation au Marché aux Puces de Saint Ouen, d’une foire d’antiquaires, d’une vente aux enchères… Il faut ensuite agir vite, contrôler vos sentiments, ne pas donner à voir que vous êtes intéressé, discuter le prix, échanger des regards furtifs pour savoir ce que nous, couple presque toujours indissocié, pensons sans nous dire un mot, concrétiser quand c’est possible et parfois « laisser filer » sachant qu’un jour ou l’autre l’objet non acquis viendra rejoindre la « boîte à regrets »…Et ce processus se répète ainsi, une et autre fois, toujours avec la même émotion, les mêmes joies et les mêmes regrets ; toujours renouvelés mais toujours nouveaux.
Mais il y a plus. Les objets inanimés (avez-vous une âme ?) sont le pont qui va vous relier à des êtres mus par la même passion et qui deviennent vos maîtres à penser. C’est une chance extraordinaire quand ceci se produit et nous avons été favorisés par cette chance.
De retour des Etats-Unis avec notre collection de patchworks sous les bras, pour ainsi dire, nous avons eu l’immense bonheur de rencontrer un être d’exception, Maurice Dérumaux, et sa femme, Simone. Ils habitaient une petite maison d’une quarantaine de mètres carrés par étage dans la belle et coquette ville du Vésinet, près de Paris. Maurice avait tout collectionné sans beaucoup de moyens et était d’une habileté diabolique pour le travail manuel et la restauration. Ayant quitté assez jeune son métier de représentant en mercerie, il s’était consacré à sa passion de collectionner de tout : des armes, des costumes et boucles XVIII, de l’art indien de l’Amérique du Nord, etc. Pour la satisfaire il restaurait des armes pour les grands marchands de Paris, échangeait avec les brocanteurs et antiquaires, vendait parfois, installait son « tipi » et revêtait sa coiffure de plumes dans les centres commerciaux pour faire la promotion de produits divers, faisait visiter aux enfants des écoles sa reconstitution de l’habitat des indiens Hopis ou Cheyennes installée dans une cabine en rondins qui jouxtait sa maison et qu’il avait construite lui-même, et économisait, en marchant au lieu de payer un ticket de bus ou de métro…
Nous avions été le voir pour savoir s’il voulait bien nous aider dans la préparation d’une exposition de patchworks que nous envisagions au Centre International de Séjour de Paris (CISPO) à Vincennes. Au cours de cette première rencontre nous nous sommes adoptés mutuellement et, en dépit de notre différence d’age, Maurice et Simone (photo à droite) avaient plus de 70 ans et nous pas encore 40, nous sommes devenus de grands amis. Bien sûr, il fut enthousiasmé par l’idée de l’exposition et prépara une vitrine qui montrait un intérieur Amish ou Mennonite avec des mannequins habillés de robes de sa propre collection d’habits, et où chaque meuble ou artefact provenait de sa petite maison ou du « saloon » qui se trouvait au fond du jardin.
Cette amitié dura jusqu’à sa mort, dix ans plus tard, et cette perte fut pour nous une douleur indicible que seul le souvenir de nos nombreuses aventures rend moins difficile à supporter, même aujourd’hui, plus de vingt ans après son départ « sans faire du bruit ».
Et quelles aventures ! L’exposition au CISPO eut lieu du 11 mai au 13 juin 1976 et recueillit un certain succès. Nous nous sommes beaucoup amusés et nos filles, déjà, participèrent à leur façon à l’inauguration en acceptant de se vêtir avec de petites robes américaines dans le style du XIX siècle confectionnées par leur grand-mère (photo ci-contre), Josiane était épanouie comme on peut le constater dans la photo à droite où elle est devant un magnifique « sunshine and shadow » Amish de 1891,
Ce succès nous incita à d’autres exercices dans le même style et nous avons décidé d’organiser en mai 1977 une exposition de nos patchworks dans le château de notre ami Louis-Paul Unersteller à Cinq-Mars
Une salle voutée du chateau de Cinq-Mars le Pile au cours de l'exposition de patchworks de 1977
Nous avons goûté au plaisir de partager avec les autres notre passion et à forger des amitiés qui perdurent aujourd’hui. Il n’y avait aucune raison de s’arrêter en si bon chemin… et nous l’avons suivi avec une certaine application comme on le verra par la suite.
En 1977 nous sommes allés avec Maurice voir l’exposition « Broderies au Passé et au Présent » au Musée des Arts décoratifs de Paris. Elle nous a ouvert les yeux sur un monde nouveau et nous avons ressenti le désir d’y pénétrer le plus profondément possible. Ce fut l’une des expériences qui a décidé de notre conduite future en ce qui concerne les étoffes brodées. A partir de ce moment tous nos voyages se sont structurés autour de visites de musées où nous savions qu’il était possible de voir des broderies. Florence, que nous connaissions bien déjà, nous a éblouis avec les collections du Bargello, où nous avons découvert le sublime antependium de Iacopo Cambi, du musée de l’Opera del Duomo où se trouve l’insurpassable série de la vie de Saint Jean Baptiste d’après les cartons d’Antonio del Pollaiolo, du Museo degli Argenti, et de tant d’autres musées et églises. En outre, nous avons eu l’immense chance d’avoir une visite guidée du musée de Prato grâce à un ami antiquaire à Florence. L’Italie fut pendant des années notre terre de prédilection, ce qui ne nous empêcha pas de quadriller l’Europe pour découvrir l’ensemble de
L’autre moyen d’apprendre était d’observer Maurice, notre mentor, quand il analysait un objet. Il opérait « scientifiquement », comme un médecin légiste en train de faire une autopsie. Au retour de nos « courses » du dimanche au Marché aux Puces, puisque nous passions par le Vésinet, nous arrivions avec des pâtisseries pour prendre le thé chez les Dérumaux et leur présenter notre trouvaille, s’il y en avait une, et passer l’examen. Maurice savait nous faire attendre. Il prenait son temps pour tourner et retourner la pièce, découdre un peu de la doublure (oh, mesdames et messieurs les conservateurs ne vous offusquez pas, c’est le privilège du collectionneur de pouvoir le faire), chercher une référence dans sa bibliothèque, descendre une valise rangée dans la soupente du premier étage et extraire un textile qui pouvait être rapproché du nôtre, le commenter et nous montrer ce qu’il fallait regarder pour connaître son « pedigree ». Et finalement tombait la sentence : « c’est pas mal » était pour nous une bonne note, un 7/10, c’est très bien nous approchait du maximum, et nous avons eu la chance même d’avoir un 10/10.
Ce fut en janvier 1978, quand nous sommes allés lui montrer notre bande d’orfroi (détails ci-dessous à droite et à gauche) achetée à Versailles. Nous savions déjà qu’elle était exceptionnelle. Nous l’avions su dès que nous étions rentrés dans la salle des ventes des Chevaux Légers et l’avions aperçue sur le mur de droite dans toute sa hauteur et brillant de son « or en couchure et nué ». Nous avons transporté notre « bébé » langé de papier sans acide et l’avons déposé sur la table du séjour (la seule pièce du rez-de-chaussée) pour qu’il puisse le dérouler et l’examiner à loisir. Nous avons gardé le silence et attendu longtemps sa sentence qui était, à notre grand soulagement, celle que nous attendions : ouvrage exceptionnel, 10/10. La suite fut une discussion au sujet de son lieu de naissance – France ou Flandres – de la date d’exécution – XV ou XVI siècle – et des avatars de l’œuvre – pourquoi deux personnages coupés et restaurés ?, etc. Nous avons dîné ensuite et fêté l’acquisition.
Maurice et Simone ne sortaient pas souvent et nous organisions parfois quelques excursions avec eux. Elles étaient destinées à « faire » les antiquaires et visiter des musées. Maurice avait un œil redoutable. Il pénétrait dans un magasin et sans bouger laissait son regard parcourir l’espace. Il lui arrivait soudain de faire quelques pas, prendre un objet en main, l’examiner en silence, demander le prix et le discuter âprement, l’acheter et finalement informer l’antiquaire ou le brocanteur de ce qu’il avait vendu. Ainsi pour une boite en porc-épic des indiens Mi’kmac (Amérique du Nord) achetée à Rouen et que l’antiquaire pensait être en marqueterie de paille. Il procédait de la même façon au Marché aux Puces, où on allait parfois tôt le matin, à la recherche d’une découverte. Toujours avec une vitesse déconcertante il arrivait à dénicher la perle rare dans un amas de choses sans importance et sans valeur aucune. C’est ainsi qu’il fit plusieurs achats pour nous, dont une très belle bannière du XIX siècle avec une Immaculée sur la croix de Jérusalem (photo ci-contre). Il nous a laissé un fragment d’étole ou manipule (photo de droite) en minuscules perles blanches et transparentes plus petites qu’une tête d’épingle qu’il n’a pas eu le temps de finir de restaurer.
En 1981 notre naissante collection de broderies était assez intéressante et Maurice nous proposa de nous joindre à lui pour mettre en place une exposition que nous avons décidé d’appeler – Art et Patience : Broderies d’Autrefois – au Centre des Arts et Loisirs du Vesinet où nous avions déjà sévi avec nos patchworks. Outre les broderies à caractère civil de Maurice et les nôtres à caractère religieux, nous avons présenté la superbe chasuble du Musée Lambinet à Versailles, un magnifique étendard prêté par un marchand parisien d’armes anciennes très connu, un chaperon Rennaissance appartenant à la maison de broderie Hamelin aujourd’hui disparue, et des oeuvres de la collection Panicali que nous allions acheter plusieurs années plus tard. Avec son adresse habituelle, Maurice reconstitua un atelier de brodeurs d’après la fameuse planche du livre de Charles-Germain de Saint-Aubin, qui eut un franc succès (photos ci-contre).
Rétrospectivement nous n’étions pas si pauvres en broderies religieuses puisque nous présentions déjà la chape objet de notre premier achat (voir haut de page), une deuxième acquise aussi en 1976 à Drouot avec une intéressante broderie de réutilisation, un orfroi de chape italien splendide (photo ci-contre), des tableaux anglais avec des scènes de l’ancien testament, une mitre XVIII (photo à droite), une étole double face et bien d’autres « petites » choses.
En 1982, Daniel est allé aux Etats-Unis pour obligations professionnelles et a pris avec lui le voile de calice d’un ensemble de broderies double face d’une qualité surprenante que nous avions acheté rue des Saint Pères. Il avait l’intention de le montrer aux conservateurs de textiles du Metropolitan Museum de New York (Met) et de l’Art Institute de Chicago (AIC) pour essayer de connaître son origine et son époque. A New York il rencontra Alice Zrebiec, conservateur, qui le reçut sans rendez vous préalable et lui ouvrit les portes des collections du Met. Christa Mayer-Thurman l’accueillit au AIC avec beaucoup de gentillesse bien qu’à l’époque la connaissance de Daniel en textiles en général et en broderies en particulier était, rétrospectivement, assez fragmentaire. Elles ont dû, quand même, être bien impressionnées puisque elles devinrent nos amies et nous firent l’honneur de suivre les progrès de la collection en nous encourageant à poursuivre nos achats et nos recherches. Beaucoup plus tard, en 1995, Christa nous écrivait après une visite à la maison : « Congratulations ! You have some absolutely wonderful pieces that even a museum would be very happy to call its own » ! et « I was also very impressed about Josiane’s research abilities in finding these rather obscure sources for some of your embroidery pieces. That is wonderful, that she can do this for your collection, as it will make it far more important one day, to have all that documentation »[2]. Venant d’elle, la suprême spécialiste de textiles et maître de tant de conservateurs prestigieux, ces paroles ont été pour nous un encouragement de tous les instants.
Mais la chaîne des amitiés allait se poursuivre puisque en 1983 Alice est venue à Paris avec Annie Carlano, alors conservateur au Wadsworth Atheneum, Hartford, Connecticut, qui préparait une exposition sur les textiles français et qui souhaitait nous rencontrer pour examiner nos pièces et nous en emprunter éventuellement quelques unes. Elles sont venues à la maison plusieurs fois et on rencontré aussi Maurice qui accepta de prêter des pièces de sa collection qui figurent aujourd’hui dans le catalogue de l’exposition French Textiles publié en 1985. De notre collection Annie sélectionna une chasuble (photo ci-contre) que nous pensions alors française et d’époque Régence et un devant d’autel attribué au Carmel de Chartres (photo à droite) que nous avions acheté en 1984. Hors catalogue elle emporta plus tard une petite boîte à reliques qui est un de nos objets les plus chéris. Annie est devenue une grande amie avec qui nous avons partagé de grands moments de bonheur. Nous avons eu le plaisir de voir un détail de notre antependium orner la première et la quatrième de couverture de son catalogue de l’exposition, French Textiles.
L’histoire de la chasuble choisie par Annie est intéressante puisque nous l’avions dénichée au Marché Vernaison où nous étions passés un dimanche matin et l’avions vue accrochée tellement haut qu’elle nous avait paru belle mais avions cru qu’elle était en broché et non brodée et avions donc poursuivi notre visite sans donner suite à notre premier réflexe qui était de l’acheter. Cependant, elle n’a pas quitté nos pensées de la journée et nous sommes retournés l’après midi en espérant la retrouver. Elle était toujours là, éblouissante dans ses ors, ses soies et ses argents, elle était effectivement brodée et nous attendait. Nous avons discuté le prix pour la forme mais sans conviction et nous l’avons rapportée en l’entourant de soins qu’elle n’avait sûrement pas l’habitude de recevoir. Elle fut « baptisée » comme il se doit chez Maurice et Simone où nous l’avons analysée et avons découvert que le fond était brodé en plein d’argent avec un léger effet de gaufrure dessinant des fleurs et rehaussé de paillettes, que les coquilles et les rinceaux étaient d’or filé, frisé et lame et que les fleurs étaient de soies polychromes au passé empiétant satinées d’argent. Nous l’avons adoptée comme étant française (à tort) et d’époque Régence et Maurice nous accorda encore une fois la meilleure note.
Nous essayions de nous perfectionner et d’apprendre. En 1984 nous sommes allés à Londres où nous avons découvert les merveilleuses collections du Victoria & Albert Museum et, en particulier, la salle d’étude de textiles que nous continuons de considérer comme un lieu magique et unique au monde pour tous ceux qui s’intéressent aux étoffes sous quelque forme que ce soit. Nous y retournons en pèlerinage chaque fois que nous sommes à Londres et nous éprouvons toujours le même plaisir et les mêmes émotions. A cette occasion nous sommes allés visiter aussi Hampton Court et nous y avons rencontré Rosemary Ewles en charge de la collection de l’Embroiderer’s Guild. Nous y avons découvert une chasuble « cousine germaine » de celle du paragraphe précèdent à la différence près que le fond était un drap d’argent plutôt que brodé comme dans la nôtre. Après avoir reçu la photo de notre chasuble elle nous écrivait « I was indeed astounded to note the similarity of workmanship and design between this piece and the one in your collection. It will be interesting to see if any other similar examples ever turn up»[3] . Ce questionnement était justifié car plus de vingt années après nous sommes allés à la cathédrale de Séville pour voir une chasuble qui est, elle, presque la sœur jumelle de la nôtre. Peu de temps après notre passage à Hampton Court, Madame Ewles nous a demandé notre avis sur un objet brodé que personne n’avait pu identifier et que nous avons reconnu comme étant un pavillon de ciboire, peut être France ou Italie, XVIII siècle. Nous devenions ainsi des « experts » puisque Madame Ewels nous remerciait et nous écrivait « I am now able to properly catalogue this item, and will be able to use it in my exhibition in June (1984) »[4]. Nous pouvions être fiers du chemin parcouru depuis l’achat de notre chape en 1976.
En mai 1985 Josiane acheta à Drouot le chaperon avec la scène de
Par l’intermédiaire de nos amis Henri et Marie Dasse, qui apparaîtront souvent au cours de ce récit, nous avons été contactés en 1985 par Philippe Verzier, de la maison Prelle, pour participer à une exposition ayant comme sujet
En 1988 nous avons organisé un voyage aux Etats-Unis pour visiter toutes les grandes collections de textiles. C’était l’époque où sans limitation l’on pouvait parcourir les Etats-Unis en avion en utilisant le « Pass », pour une somme forfaitaire extrêmement raisonnable. Le gîte était presque toujours assuré par des collègues, des amis et des familiers ce qui mettait le projet a portée de nos finances. Nous avons été reçus partout de manière admirable.
Edward Maeder, du Los Angeles County Museum, nous accueillit un matin dans la cafétéria où il examina avec attention mais très rapidement le catalogue de notre embryon de collection, que nous avions établi pour l’occasion, et sans nous laisser finir le café qu’il nous avait offert, nous a entraînés dans une visite qui dura jusqu’à 19 heures. En nous quittant il regretta que nous ne puissions poursuivre nos entretiens le jour suivant à cause de nos engagements. En partant, il nous confia qu’il ne fallait pas nous formaliser pour le préalable de la cafétéria puisque c’était une astuce qu’il mettait en œuvre pour jauger les personnes qui venaient lui proposer d’examiner des textiles et que nous avions passé l’ « examen » sans problèmes. Edward nous fit cadeau de son livre Art of the Embroiderer, traduction annotée et commentée de l’Art du Brodeur de Gabriel de Saint-Aubin, reproduit en fac-similé dans le livre. Cet ouvrage est, à notre avis, la référence suprême pour tout ce qui concerne les matériaux et les techniques de la broderie.
Nous sommes allés ensuite à San Francisco, où nous avons visité le Musée de
Un peu plus de dix ans après le début de nos achats nous pouvions commencer à parler de collection, nous commencions a être connus d’une bonne partie de la communauté des spécialistes de l’art textile aux Etats-Unis mais aussi en Europe puisque nos interrogations au sujet de certaines pièces nous avaient conduits à prendre des contacts avec le V&A à Londres et
En 1992 nos amis Henri et Marie Dasse, encore eux, signalaient notre existence à Monsieur Jacques Bacot, expert, qui cherchait des personnes susceptibles de cataloguer les ornements liturgiques de l’église Saint Louis en l’Ile en vue d’une exposition. Avec beaucoup d’inconscience et peu de science nous nous sommes attelés à cette tâche et nous avons produit les notices, que nous regardons très sévèrement aujourd’hui. Ce fut une belle aventure qui nous permit de nous rendre compte que, finalement, nous possédions déjà de fort belles choses, plus anciennes, de meilleure qualité et mieux conservées que celles d’une paroisse importante de Paris. Cette découverte nous incita à poursuivre notre quête et, avec nos moyens limités, à enrichir nos acquis.
Peu de temps après nous avons été invités, par l’entremise de Jacques Bacot, qui entre temps était devenu un ami, à participer à l’exposition Fil de Foi, Chemin de Soie que Chantal Touvet organisait en 1993 au Château de Chambord. Nous avons accepté de prêter une trentaine d’objets et rencontré Martine Chavent qui établit les notices du catalogue. Ce fut une belle expérience, même si nous avons douté, pendant les deux jours où nous avons aidé Chantal à la mise en place des œuvres, que la présentation soit prête pour l’inauguration. Invariablement Chantal répondait à nos préoccupations par «
Cette exposition eut un certain retentissement et à sa suite nous avons été contactés par Danielle Véron-Denise, alors conservateur à Fontainebleau, et spécialisée dans l’étude des broderies anciennes. Notre amour partagé pour cet art, dit mineur, a forgé une solide amitié qui ne fait que s’amplifier avec le temps. Par son intermédiaire, Gérard Picaud, qui était engagé dans le projet de création du Musée de
Notre collection grandissait et nous lui apportions l’attention que nécessitent les enfants en phase de croissance : beaucoup de soins, une alimentation équilibrée par l’achat de nouvelles pièces, une intégration dans la vie sociale en leur dévoilant leur passé sans lequel il n’y a pas de construction du futur, et beaucoup d’amour. Ce régime lui réussissait puisque des pièces extrêmement importantes de père et mère inconnus reçurent une filiation incontestable. Nous nous retrouvions en possession d’un bien qui réclamait silencieusement le droit d’exister et de se pérenniser au delà de notre propre existence.
Josiane profitait de son mi-temps à l’Éducation Nationale pour s’investir intensément dans la recherche, d’autant plus que nous « rentrions » des pièces exceptionnelles comme la chasuble française du XVI siècle avec la crucifixion (photo ci-contre), les chutes d’autel de l’Escorial (photos ci-dessous à gauche), les deux orfrois espagnols du même siècle avec des scènes de la vie de Saint Dominique (photos ci-dessous à droite), la scène du miracle de Saint Antoine de Padoue, l’antependium des Ursulines d’Amiens, , la grande et magnifique tenture d’autel avec l’image du pélican et ses petits, et bien d’autres. Le cabinet des estampes à
Scène d'un miracle de Saint Antoine de Padoue
Antependium des Ursulines d’Amiens
En 1996 Josiane s’est engagée dans la courte aventure du Centre International d’ Histoire de
En 1999 est passée en vente une broderie en relief représentant Marie Madeleine devant la grotte de
C’est l’année suivante que Jean-Paul Leclercq, alors conservateur au Musée de
À cette époque nous avions commencé à nous interroger sur l’avenir de la collection. Deux options se présentaient : soit organiser une belle vente à Drouot, soit lui trouver un foyer pour assurer sa pérennité et son intégrité. Après des multiples péripéties la dernière option fut adoptée et, grâce au mécénat de la Fondation Zaleski la collection était acquise par l’État le 10 juin 2009 pour être conservée et exposée par rotation dans le Trésor de la Cathédrale du Puy-en-Velay où elle peut être admirée depuis le 21 octobre 2011. Entre temps, en novembre 2010, nous avons publié la catalogue de la collection sous le titre " Le Trésor brodé de la cathédrale du Puy-en-Velay - Chefs-d'oeuvre de la collection Cougard-Fruman ".
Nous souhaitons à tous ceux qui auront la chance de voir les œuvres exposées autant de plaisir que nous avons eu à les trouver, à les chérir, à les conserver, à les étudier et à les donner. Que la beauté et la spiritualité qu’elles transcendent soient un témoignage de la grandeur de l’Homme. Notre plus grande joie serait d’entendre les visiteurs nous dire, comme c’est déjà arrivé, « … nous ne savions pas que cela existait … ».
[1] Le mot quilt est le terme générique anglais pour les couvre-lits constitués de deux tissus avec un rembourrage intérieur, généralement en coton brut, tenu par un piquage qui dessine des motifs décoratifs. Quand le tissu visible est fait de petits morceaux (patches) d’étoffes assemblées on l’appelle patchwork quilt ou tout simplement patchwork.
[2] Félicitations ! Vous avez quelques pièces merveilleuses que même un musée voudrait avoir. J’ai été aussi très impressionnée par la capacité de Josiane à trouver les sources cachées de certaines de vos broderies. C’est merveilleux qu’elle puisse le faire pour votre collection, puisque un jour il sera très important de disposer de toute cette documentation.
[3] J’ai été étonnée de la similitude du travail et du dessin de cette pièce et celle dans votre collection. Il serait très intéressant de voir si d’autres exemples similaires sont découverts un jour.
[4] Je suis maintenant en mesure de bien cataloguer cet objet, et d’être en condition de le présenter dans ma prochaine exposition en juin (1984).
Date de dernière mise à jour : 18/09/2022
Ajouter un commentaire