ANGE PORTANT UN ECU ARMOIRIE AU MUSÉE DE CLUNY

Le Musée de Cluny nous propose actuellement, et jusqu’au 11 janvier 2026, une exposition autour de « Moyen Âge du XIXe siècle », période d’engouement des collectionneurs pour la haute époque. Elle donna lieu à la production, plus ou moins bien ou malintentionnée, de montages, un peu d’ancien et beaucoup de neuf ; des imitations, qui furent parfois longtemps considérées comme des vrais : des restaurations abusives, et des originaux, des œuvres inspirées de l’ancien mais authentiquement « néogothiques ». On comprend alors le sous-titre de l’exposition : Créations et faux dans les arts précieux.

L’intérêt pour les faux dans la production artistique n’est pas nouveau. Le Victoria & Albert avait, entre 1983 et 2009, une grandiose « Fake Gallery », que je visitais avec Josiane chaque fois que nous étions au V&A pour passer des heures au « study room » dédié à la broderie, aujourd’hui déménagé loin du siège du musée et accessible uniquement sur rendez-vous. En effet, la broderie a connu aussi ses faux (intentionnels ou non) et pour pouvoir les détecter il faut voir le plus possible de « vrais » ou supposés tels… Et, surtout, être en mesure de les examiner d’assez près, avec une loupe de préférence, et de les comparer à d’autres œuvres de la même période et lieu de production… Cet apprentissage est long et ne finit jamais… 

L’objet, Fig. 1, qui nous occupe nous l’avons trouvé chez un antiquaire de la rive gauche qui porte un nom qui s’est illustré dans la connaissance du mobilier de la période moyenâgeuse. À première vue il s’agissait, indubitablement, de l’image d’un ange portant un écu armorié, de la fin du XVe-début du XVIe siècle, comme ceux de quelques évêques de la cathédrale de Tolède, que nous connaissions suite à nos très nombreuses visites au musée de la cathédrale de cette magnifique cité.
Photo cluny 1

Figure 1 : Ange portant l’écu avec les armes d’Henry de Beauchamp, Duc de Warwick

L’ayant acquis, nous n’avons pas tardé à trouver, en nous plongeant dans notre documentation, qu’elle était identique à celles qui se trouvent aux extrémités des bras d’une croix de chasuble[1] au Victoria & Albert Museum de Londres (inv. 402 – 1907) datée entre 1434 et 1445 ; la première date correspondant au mariage d’Henry de Beauchamp avec Cecily Neville, et la deuxième à son accession au titre de Duc par Henri VI d’Angleterre en 1445. Il meurt en 1446.

Il est très intéressant de noter que l’excès de la toile de fond de la broderie est repliée à l’arrière sur un cartonnage de support et qu’une étiquette collée porte une inscription, Fig. 2, qui lit « D’après une Chasuble / propriété du / Rev W. Moore [qui était pasteur à Spalding, vicaire de Moulton et Prebendary de Lincoln et Président de la Gentlemen's Society de Spalding] DD / Spalding : 1849 ».

Texte 3Figure 2 : Cartel au revers de la broderie.

Nous nous trouvons donc en face d’une broderie faite, sans doute aucune, à la demande de son propriétaire qui, conscient de l’intérêt de l’objet, ait décidé, déjà en 1849, de faire exécuter « à l’identique » une broderie des armoiries représentées sur la chasuble. Les techniques - les points et les matériaux – sont aussi proches que possible de ceux employés au début du XVe siècle, comme on peut le voir dans la photo qui rapproche notre broderie de l’un des bras de la croix de la chasuble, Fig. 3. Les couleurs diffèrent mais, les effets du temps faisant leur ravage, personne ne peut imaginer quelles étaient les nuances de l’original il y a plus de 150 ans, et quel est le degré de liberté laissé au brodeur dans le choix des teintes.


Comparaison directe warwick et fruman 2Figure 3 : En haut, détail du bras de la croix de chasuble : en bas la copie.

En 2022 j’ai appris que Christine Descatoire préparait une exposition sur le « moyen-âge au XIXe siècle » et il m’a paru évident que cette broderie devait y figurer, si possible accompagnée par la chasuble de Warwick. C’est ainsi que, en accord avec mes filles, elle a rejoint le Musée de Cluny par donation, Figure 4.

Ange portant un ecu armoirie cartel 2Figure 4

Malheureusement, le V&A, qui avait donné son accord pour prêter la chasuble, s‘est désisté et la comparaison de l’original et la copie ne peut pas avoir lieu sur place.

Que ceci ne vous empêche d’aller voir cette excellente et instructive exposition !

Daniel H. Fruman
21 octobre 2025

 

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[1] La logique voudrait que les deux anges porteurs de l’écu aient la tête penchée vers le Christ en croix au milieu de celle-ci, ce qui n’est pas le cas. Ce détail peut paraitre mineur, mais pour un ouvrage de cette qualité il interroge. À mon avis ceci ne serait explicable que si l’ange faisait partie intégrante des armoiries. Question à poser à un héraldiste.

Date de dernière mise à jour : 21/10/2025